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Kadri Gürsel : « En Turquie, la lame de fond nationaliste ne cesse de prendre de l’ampleur »
25.juin.2018 Le Monde
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En dépit de sa victoire, le pouvoir sans partage d’Ergogan reste rejeté par près d’un Turc sur deux, note l’éditorialiste de « Cumhuriyet ».
LE MONDE | 25.06.2018 à 10h39 • Mis à jour le 25.06.2018 à 10h48 |
Propos recueillis par Marc Semo
Editorialiste de Cumhuriyet, quotidien de centre gauche et une des dernières voix indépendante en Turquie, Kadri Gürsel avait été arrêté en octobre 2016 avec dix autres responsables du journal et condamné à deux ans et demi de prison. Il est l’auteur de Turquie année zéro (Cerf, 2016).
Comment expliquez-vous la réélection de Recep Tayyip Erdogan dès le premier tour, et de la majorité dont disposent son parti et ses alliés à l’Assemblée ?
Le score électoral du Parti de la justice et du développement (AKP), qui avait remporté 49 % des voix aux élections de novembre 2015, est en nette baisse – 42 %, comme l’avaient prévu les sondages – mais la surprise de ce scrutin a été le succès de son allié du Parti d’action nationaliste (MHP), qui pèse 10 % et récupère les voix des déçus du parti du parti au pouvoir depuis 2002. La victoire d’Erdogan s’explique avant tout par cette lame de fond nationaliste qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Quelque 70 % des Turcs votent pour un parti nationaliste, ou ultranationaliste, si l’on additionne aux voix de l’AKP et du MHP, celles recueillis par les néonationalistes de Meral Aksener, qui avait fait scission du MHP et rejoint l’opposition.
Quelles en sont les raisons ?
Il y a un aspect paradoxal que l’on ne peut expliquer seulement par le contexte régional et les clivages internes, notamment sur la question kurde, attisés par Recep Tayyip Erdogan. Selon toutes les enquêtes, les principales préoccupations des électeurs turcs portent sur la dégradation de l’économie, l’inflation, la montée du chômage, le dévissage de la monnaie et non pas sur les questions sécuritaires. Les résultats d’Erdogan n’en restent pas moins globalement équivalents à ceux de sa première élection à la présidence au suffrage universel en août 2014, et lors du référendum sur le régime présidentiel d’avril 2017. Mais ces élections, ni libres, ni équitables, menées dans un pays soumis à l’état d’urgence, ont été les moins démocratiques depuis l’entrée en vigueur d’un vrai multipartisme au début des années 1950.
Erdogan a désormais tous les pouvoirs…
Il les avait déjà de facto, même si les dispositions de la nouvelle Constitution instaurant un régime hyperprésidentiel entrent, pour la plupart, seulement maintenant en vigueur. La Constitution lui permet une gestion arbitraire du pays, car il n’y a aucune institution à même de garantir un minimum d’équilibre des pouvoirs.
La répression va-t-elle encore se durcir ?
Cela dépend des réactions de la société civile. Jusqu’ici, elle a résisté, comme on l’a vu notamment pendant la campagne électorale, en se regroupant dans d’immenses meetings pour montrer sa souffrance et son impatience. Recep Tayyip Erdogan va continuer à souffler la haine et à jouer sur les peurs, mais il reste cette situation de fait : son pouvoir sans partage est rejeté par près d’un Turc sur deux. Il est affaibli politiquement, et il a besoin du MHP au Parlement, ce qui exclut toute initiative pour trouver une solution politique à la question kurde. En politique étrangère, y compris sur un dossier crucial comme la Syrie, la Turquie est comme un bateau ivre naviguant au gré des courants contraires. La société turque n’a pas dit son dernier mot.
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